« La douleur est un seigneur de l’humanité plus terrible encore que la mort ».
Dr Albert Schweitzer

La douleur est un vaste sujet, dans la mesure ou elle recouvre de multiples facettes. En effet, elle peut être de nature aigue ou chronique….avec des lieux de manifestation divers et variés, d’origine étiologique multiple.

En Médecine Occidentale, l’Homme est considéré comme une entité mécanique de par son corps et une entité psychique de par sa psyché. Pour mieux le comprendre , la médecine occidentale se spécialise et décortique l’homme jusqu’au stade moléculaire. Ainsi chaque médecin sera un spécialiste de son domaine. La conception traditionnelle chinoise est autre. L’Homme est considéré comme une entité à part entière étant soumis à un environnement que les lois universelles gouvernent.

Cet environnement interagit en permanence avec le l’Homme situé entre Ciel et Terre. La MTC , dans sa conception physiopathologique de l’Homme, fait appel à deux notions importantes que sont l’énergie vitale et l’environnement. S’il maintient son équilibre énergétique, l’homme reste en bonne santé.

 

La douleur est, selon la définition de l’IASP*,

” Une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à un dommage tissulaire réel ou potentiel ou décrite en terme d’un tel dommage. “

L’intérêt de cette définition est de souligner que la relation entre douleur et stimulus périphérique n’est pas obligatoire.Elle rend légitimes les douleurs sans lésion. Elle met également sur un même plan les dimensions sensorielles et affectives. On admet en effet, que le traitement de l’information nociceptive s’effectue dans différentes structures centrales; schématiquement :

  • Thalamus pour la composante sensori-discriminative
  • Systèmes réticulaire et limbique pour la composante affective.

*IASP : International Institut for Study of Pain : institut international d’études de la douleur. Organisme créé en 1990

 

On peut décrire ainsi 4 composantes de la douleur:

Comment la médecine occidentales explique-t-elle l’apparition de la douleur ?

La recherche médicale moderne a découvert que le signal de la douleur est transmis par des cellules nerveuses spécialisées (les récepteurs) que l’on trouve dans la peau et dans l’ensemble des tissus du corps. Ces cellules réagissent aux blessures, inflammations et lésions tissulaires.

Dès réception de ces messages, les signaux sont véhiculés par voie électrique et chimique, passant, via les neurones sensitifs, des récepteurs à la moelle épinière, et via les interneurones, de la moelle épinière au cerveau où ils sont finalement interprétés en tant que douleur.

Comment est traité la douleur en termes de médecine moderne ?

Des différences d’ordre neurophysiologique , neuropsychologique et comportemental justifient la distinction douleur aiguë-symptôme / douleur chronique-syndrome

La douleur aigue se caractérise par un commencement brusque, une durée courte, un fonctionnement normal des systèmes nerveux périphérique et central.Elle est ordinairement le résultat de blessures, opérations, inflammations ou maladies. Elles disparaissent souvent au cours du processus de guérison. Les douleurs chroniques sont différentes; souvent difficiles à soulager ou à guérir entièrement et elles peuvent apparaitre  en l’absence de lésion tissulaire et de cause physique. Les causes exactes des douleurs chroniques ne sont pas parfaitement comprises.

On dit souvent aux patients : « désolé on ne peut rien faire, il faudra vivre avec » ou « c’est dans votre tête ».

Il est impératif d’évaluer le niveau de douleur et de toujours préciser le diagnostic afin de déterminer les thérapeutiques les plus spécifiques. Le traitement de la cause doit entraîner la disparition de la douleur à plus ou moins courte échéance. En attendant leurs effets, la douleur est soulagée par des antalgiques tant que cela reste nécessaire. On utilise des antalgiques selon 3 paliers, définis par l’OMS :

  1. Palier I : douleurs faibles (0 à 3/10)
    Non Opioïdes (Aspirine, Paracétamol, Anti-inflammatoire)
    Effets secondaires : toxicité hépatique & gastro-intestinales,…
  2. Palier II : douleurs « moyennes » (3 à 5/10)
    Opioïdes faibles (Codéine, Dextropropoxyphène, Tramadol) Effets secondaires : vertiges, somnolence, nausées, sécheresse buccale, sudation,…
  3. Palier III : Douleurs intenses à très intenses
    Opioïdes Forts (morphine etc.)
    Effets secondaires : dépression respiratoire, sédation .

On a également observé que, quelle que soit la cause de la douleur, des sentiments tels que frustration, colère ou crainte  exacerbent la douleur et  la rendent plus difficile à traiter. En résumé, la douleur et tout particulièrement la douleur chronique influe sur la vie et les activités physiques quotidiennes. On peut aller jusqu’à dire qu’elle diminue parfois la qualité de vie des patients sur les plans psychologique, social et physiologique. C’est en définitive l’une des causes les plus fréquentes de souffrance et d’infirmité dans le monde actuel

Profonde et richesse de la MTC

En MTC, l ’homme est considéré comme une entité à part entière.

Les fonctions organiques et psychiques sont liées, obéissent aux mêmes lois et interfèrent les unes sur les autres. L’Homme vit dans un monde cosmique, et fait partie intégrante de ce cosmos: il vit en lui et avec lui (macrocosme). La peau sert de « lien » entre ce macrocosme et le corps humain ou microcosme. La condition de bonne santé résulte de l’harmonisation , de la bonne circulation de l’énergie « QI » et obéit aux lois du YIN/YANG, et des 5 éléments entre autres. La douleur et ses causes ont été décrites il y a presque 3000 ans dans le HUANG DI NEI JING, classique interne de l’Empereur Jaune.

« La douleur est due à un blocage, le déblocage est indolore ». Autrement dit , « l’obstruction provoque la douleur ».

La médecine traditionnelle chinoise (MTC) est probablement l’une des plus anciennes thérapeutiques alternatives dans le monde et l’un des systèmes médicaux pratiqués avec la plus grande continuité. Ce système médical unique, développé au fil des millénaires par les Chinois en suivant une méthode empirique d’observation, permet de traiter un vaste ensemble de maladies et s’avère d’une utilité particulière pour traiter différentes sortes de douleur.

Quelle qu’en soit la cause, la douleur et notamment la douleur chronique dépasse la simple sensation physique. On l’a vu précédemment, elle limite les activités quotidiennes et peut dégrader les capacités de fonctionnement du patient.

Pourtant, la douleur est en réalité pour la nature un moyen de protéger le corps de possibles lésions tissulaires en donnant un signal d’alarme qui avertit l’individu que quelque chose ne va pas.

On peut donc dire en ce sens qu’être attentif à la douleur, c’est se garder de blessures sévères.

Comment la médecine traditionnelle chinoise (MTC) explique-t-elle l’apparition de la douleur ?

La MTC adopte le point de vue suivant : Le corps maintient un équilibre entre Yin et Yang, Qi et Sang. Qi et Sang circulent dans le corps selon des trajets bien définis appelés méridiens. Quand le Qi ou le Sang font défaut (Vide ou Insuffisance) ou qu’ils s’amassent quelque part (Plénitude ou Excès), il se forme un déséquilibre entre le Yin et le Yang, les viscères internes n’ont plus leur fonctionnement optimum , la maladie et la douleur se développent.

Selon la MTC , le concept de douleur peut être divisé en trois entités principales:

Le syndrome « BI »
Le syndrome « TONG »
Le syndrome « WEI »

Leur étiologies, pathogénies, localisations et symptômes étant dissemblables, leurs traitements sont différents. Nous allons voir succinctement les syndromes TONG et WEI  et plus en détail les syndromes BI.

 

Le Syndrome Tong souvent de cause interne, se localise dans les Cinq Organes, les Six Entrailles et dans les Entrailles particulières (Cerveau, Moelle, Os, Vaisseaux, Vésicule biliaire et Utérus). Il est lié le plus souvent au Vide de Yin, de Yang, de Qi et de Sang avec perte de la fonction énergétique et production interne de stase de sang et de mucosités troubles.

  • de Yang … raideurs et frilosité (le yang mobilise et réchauffe)
  • d’énergie (Qi) … fatigue
  • de sang … anémie + douleur sourde, plus localisée (ex.: une joue rouge et l’autre blanche)
  • de Yin (fibrome, kyste, maigreur ou obésité …)

Le Syndrome WEI  atrophique (WEI ZHENG) est un flétrissement des muscles et des tendons (la structure est atteinte), avec incapacité de marcher, sans douleur (sauf à un stade évolué).

Parmi les diverses maladies du système nerveux qui se manifestent par de la paralysie flasque. Certaines ont comme caractéristiques communes l’atteinte ou la dégénérescence des neurones moteurs de la moelle épinière et du tronc cérébral. Cette vision englobe quelques affections cliniquement déterminées, comme la Myasthénie, la SEP, la Sclérose Latérale Amyotrophique (maladie de Charcot), la Poliomyélite, la dystrophie musculaire progressive, mais aussi bien des cas frustres (névrites, encéphalites avec déficits sensitifs et moteurs …).

 

Le Syndrome BI

L’idéogramme Bi 痹 signifie “blocage”.

En MTC , ce terme est utilisé pour désigner « le blocage du QI et du Sang dans les méridiens(jing) et les collatéraux (luo) dû à certains facteurs pathogènes tels que le Vent, le Froid, l’Humidité, etc… ».Il entraine principalement de la douleur, de l’engourdissement et une limitation des mouvements. Les Bi 痹 , ou syndromes d’obstruction douloureuse, sont des syndromes cliniques fréquemment rencontrés en acupuncture. Ils sont la conséquence de l’obstruction des méridiens par l’association des “trois démons” (Vent-Froid-Humidité).

 

Au chapitre 43, TRAITÉ DES BI (BI LUN 痹 論)

 

Huangdi demanda :

Comment apparaissent les bi ( 痹) ?

 

Qi Bo répondit :

 

Les trois soufIles du vent, du froid et de l’humidité arrivent entremêlés; c’est leur conjonction qui donne les bi.
Quand ce sont les soufIles du vent (feng 風) qui dominent, cela donne des bi qui se déplacent (xing bi 行痹).

Quand ce sont les soufIles du froid (han 寒 ) qui dominent, cela donne des bi douloureux (tong bi 痛痹).
Quand ce sont les souffles de l’humidité (shi 濕 ) qui dominent, cela donne des bi qui s’attachent (zhu bi 著痹).

 

Pour les praticiens occidentaux en MTC, le concept de « Bi » est surtout associé aux rhumatismes, au sens large. Ces deux concepts se recouvrent largement. Cependant, la notion de « Bi » englobe un domaine bien plus étendu que les seules maladies rhumatismales (Bi Zheng). D’autre part, la MTC ignore la classification occidentale des maladies rhumatismales, comme par exemple la différenciation entre maladies dégénératives (arthrose) et maladies auto- immunes (polyarthrite rhumatoïde). Les chinois insistent sur les origines à la fois « Externes » et « Internes » de la maladie. Cette vision double de l’étiopathologie de ce que l’on nomme « Bi Rhumastismaux » se trouvait illustrée par l’utilisation de termes spécifiques pour les définir: Feng Shi et Bi Zheng.

 

Feng shi: Vent/Humidité , principaux facteurs des Bi rhumatismaux

Bi Zheng: terme traditionnel  et académique du syndrome Bi

 

D’une manière générale, deux circonstances importantes sont nécessaires pour engendrer la maladie:

ZHENG QI (énergie saine) et surtout le Wei QI (énergie défensive) doit être en vide. Les facteurs climatiques Vent/Froid/Humidité (XIE QI énergies pathogènes) doivent être forts. La maladie survient quand : Zheng Qi trop faibles pour résister à l’attaque de Xie Qi WEI QI

 

ZHANG JIE BIN:

« le Vent est un pervers Yang, il peut se diffuser et c’est pourquoi il est facile à stopper.Pour les deux autres sortes de BI, le Froid/Humidité, le traitement est relativement plus difficile, car les pervers YIN demeurent sur place, faisant des blocages; il n’est pas facile de les faire circuler »

 

A noter, pendant la phase initiale, les Facteurs pathogènes (Vent/Froid/Humidité) attaquent toujours en même temps.L’affaiblissement et le ralentissement de la circulation qui en résultent vont se répercuter dans l’aisance et la facilité des mouvements qui animent la structure corporelle, les signes révélateurs seront le plus souvent des douleurs musculaires et articulaires.

Les méridiens, vecteurs du QI d’un organe, n’entretient plus correctement le secteur du corps sous son autorité: d’ou apparition de douleurs et autres symptômes

 

DIFFERENCIATION SELON  L’ETIOLOGIE

 

Ainsi, le Su Wen classe ces atteintes selon les tissus touchés. Le syndrome Bi est localisé au niveau de la peau, des muscles, des vaisseaux, des tendons, des os et des méridiens. Il est caractérisé par des contraintes externes sur des fragilités internes. Chaque type de pervers se manifeste préférentiellement au niveau d’un tissu particulier de la surface. La pénétration des énergies perverses signale un vide sous jacent des ZANG/FU (organe/entraille) correspondant au tissu atteint.

 

LING SHU CHAP 20 :

« Douleur à la peau, le trouble siège dans les Poumons, Douleurs tendons, des muscles , la maladie siège dans le Foie, Douleur des muscles, le trouble siège dans la Rate, Douleur dans les os, le trouble siège dans les Reins »

Conclusion

La MTC , dans sa conception physiopathologique de l’Homme, fait appel à deux notions importantes que sont l’énergie vitale et l’environnement. S’il maintient son équilibre énergétique, l’homme reste en bonne santé. Tous les commentateurs du SU WEN l’ont souligné : Un organe est attaqué par les pervers quand sa faiblesse interne permet cette intrusion.

Un organe n’est atteint en lui même que parce  les esprits sont lésés par notre opposition au mouvement naturel que ce soit dans les actions, les sentiments, les pensées, les relations…

Le VENT/FROID/HUMIDITE  se frayent alors une voie de pénétration, des zones externes du corps vers le centre de la vitalité.

Cette mise en garde , située au centre du chapitre 43  du SU WEN est le rappel du vrai sens de la vie et des causes réelles des maladies. La douleur du patient est une plainte fréquente. Elle est le reflet d’un blocage énergétique. L’acupuncture et la pharmacopée sont considérées comme une thérapeutique de choix pour approcher et traiter la douleur. C’est un moyen d’aider le corps à retrouver l’équilibre énergétique qui lui fait défaut.

 

En termes de contrôle de la douleur, les effets de la phytothérapie chinoise et de l’acupuncture sont :

  • soulager complètement la douleur ou fournir le plus grand soulagement possible ;
  • réduire le niveau de douleur ;
  • améliorer la capacité à composer avec la douleur;
  • régulariser les émotions ;
  • augmenter l’énergie ;
  • augmenter la capacité à effectuer les tâches quotidiennes ;
  • améliorer la qualité de vie ;
  • diminuer la dépendance vis-à-vis de médicaments inadaptés.

Les Chinois ne limitent pas l’usage des plantes chinoises et de l’acupuncture à la réduction de la douleur ; ils associent plantes et acupuncture pour traiter l’ensemble des pathologies du patient qui sont en rapport avec la douleur.